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Dans le cadre d’un programme de recherche inter-universitaire portant sur les nouvelles migrations en Tunisie, nous nous sommes rendus les 16 et 17 mai 2014 sur les vestiges du camp de Choucha, dans le sud tunisien, tout proche de la frontière libyenne. Là se maintiennent des personnes pour lesquelles ni les organisations internationales ni la société tunisienne n’ont réussi à offrir de perspectives.

 

Illustration mediapart 30062014 1Un camp de fortune au milieu du désert © S.Potot

 

Arrivés au camp démantelé entre chien et loup, après avoir passé les barrages de sécurité frontalière, nous retrouvons les laissés pour compte des renversements du régime libyen, de la fracture Nord/Sud ou pays riches/pays pauvres, de la mondialisation du marché du travail, des rouages des organismes internationaux ou nationaux. La présence encore aujourd’hui de ces quelques centaines de personnes : hommes, femmes et enfants démontre combien ces organismes, bien que pourvus de pouvoir et de moyens, peuvent être dans l’incapacité de résoudre complètement des questions humanitaires en laissant derrière eux des personnes livrées à elles-mêmes.

Pour mémoire, ce camp, dressé d’abord par l’armée tunisienne puis par le Haut Commissariat aux Réfugiés de l’ONU (HCR), a accueilli en 2011 plusieurs centaines de milliers de travailleurs migrants fuyant la guerre en Libye. La très grande majorité de ces exilés a été rapatriée dans les jours ou les semaines qui ont suivis son arrivée, notamment grâce au concours de l’Organisation Internationale des Migrations (OIM) qui a affrété des avions ou des véhicules terrestres vers les pays d’origine de ces personnes.

Une faible proportion de ces déplacés, quelques milliers, n’ont pas souhaité ou n’ont pas pu retourner dans leur pays où des conditions d’existence décentes ne leur étaient pas assurées du fait de conflits armés, de leur appartenance à un groupe discriminé, de situations économiques déplorables, ou encore d’engagements militants. Tous ceux arrivés en 2011 ont alors eu la possibilité de déposer une demande d’asile auprès des Nations Unies. Après étude des dossiers, le HCR a octroyé le statut de réfugié à une majorité d’entre eux et s’est occupé de la réinstallation d’un certain nombre de réfugiés dans des pays tiers (la Suède, l’Allemagne, les Etats-Unis et le Canada notamment). Au terme de ce programme de réinstallation, le HCR a décidé de fermer le camp de Choucha en juin 2013.

Pourtant, ce camp n’était pas vide lorsque la décision a été prise et, bien qu’abandonné, il est toujours occupé par deux principales catégories de réfugiés, tous privés des services de base tels que l’eau, l’électricité, les sanitaires, l’éducation et la santé. Il s’agit d’abord des demandeurs d’asile auxquels le HCR a refusé le statut de réfugié, les considérant dès lors comme ne relevant plus de sa compétence. Cet organisme a recensé 222 demandeurs d’asile déboutés qui se sont maintenus dans le camp malgré ce rejet. La deuxième catégorie est formée par les réfugiés auxquels le HCR a accordé sa protection sans les réinstaller dans un pays tiers. Refusant la proposition d’être «intégrés » dans l’une des villes du sud tunisien où ils seraient confrontés aux difficultés économiques qui affectent cette région et, pour les sub-sahariens, à diverses formes de racisme, ils ont opté pour rester à Choucha, rêvant à une hypothétique réinstallation future. Dans la pratique, les sujets de ces deux catégories administratives se confondent puisque ni les uns ni les autres n’ont de permis de travail en Tunisie, pas plus qu’un droit au logement (pour une location, il faut un titre de séjour) ou un accompagnement social, bases d’une possible insertion locale.

 

Illustration mediapart 30062014 2Les installations de l’ancien camp, détruites par les autorités, et les habitations actuelles. © S.Potot

 

Faute de ressources et de moyens alternatifs, quelques deux à trois cents personnes sont ainsi restées sur les lieux de l’ancien camp, dans une attente sans but. Elles ont récupéré des restes de tentes et de couvertures pour se confectionner de modestes habitations qui les protègent difficilement du soleil et des fréquentes tempêtes de sable. Elles ne peuvent plus utiliser les toilettes et les douches, détruites au moment du démantèlement du camp, tout comme l’adduction d’eau. Même l’ancien terrain de foot est délaissé car « ici tu ne dois pas te faire mal. Si tu te casses la cheville, qu’est-ce que tu vas devenir dans un coin comme ça, dans le désert ? » (source : entretien avec un réfugié).

On rencontre là des personnes de diverses nationalités : Soudanais (souvent du Darfour), Camerounais, Tchadiens, Palestiniens, etc. Beaucoup d’hommes seuls mais également quelques familles avec des enfants en bas âge, certains nés dans le camp. Plusieurs personnes sont malades et laissées sans soins puisqu’ici aucune ONG ni aucun service social ne passe. La principale aide est fournie par les Libyens qui empruntent la route de la frontière et distribuent, au passage, quelques bouteilles d’eau et des vivres à ces mendiants du bord de la chaussée.

Bloqués entre le désert derrière eux et la mer pour seul horizon, ils luttent pour leur reconnaissance. Des slogans, affiches et banderoles, le long de la route lancent des appels au secours.

 

Illustration mediapart 30062014 3Slogans sur la route vers la Libye © L.Kfoury

 

Nous pouvons lire sur ces pancartes, unique moyen de communication entre les mains des résidents :

« Non aux visites médiatiques et formelles du croissant rouge / Nous refusons le négoce aux dépens de notre santé. Nous refusons de nous faire amputer nos membres à cause de vos abu».

« Où est le droit humain du réfugié et l’action internationale pour sa réinsertion ? Nous n’oublierons nos souffrances qu’avec notre réinstallation ».

Le gouvernement de transition tunisien découvre, comme l’ont fait les pays du sud de l’Europe plusieurs décennies avant lui, les questions que pose l’immigration à un Etat démocratique. Pour l’instant, il n’existe pas de législation sur l’asile, ni de loi qui permette aux migrants de bénéficier des droits fondamentaux dans ce pays. La protection du HCR dont peuvent se prévaloir certains ne prévient que l’expulsion, sans soutien à l’installation.

Quelles perspectives alors pour les oubliés d’une vague migratoire dans laquelle l’Europe a joué sa part ? Loin du regard des institutions internationales qui considèrent avoir fait leur travail, on apprend à intervalles réguliers qu’une personne a tenté de « prendre la mer » -expression pudique pour signifier qu’elle a pris la décision d’embarquer, en contractant des dettes de plusieurs années auprès de ses proches, sur une embarcation de fortune vers les côtes italiennes. On espère seulement que la Méditerranée ne l’ait pas engloutie, comme tant d’autres.

 

Signataires :

Hajer Araissia, démographe, Université de Tunis

Toure Blamassi, Association des Etudiants et Stagiaires Africains en Tunisie

Hassan Boubakri, géographe, Université de Sousse

Marina Hilly, sociologue, CNRS

Liliane Kfoury, historienne, Univ. Saint Joseph de Beyrouth

David Loher, anthropologue, Université de Berne

Suzanne Menhem, socio-démographe, Université Libanaise et Université de Poitiers.

Naïk Miret, géographe, Université de Poitiers

Aurore Mottet, sociologue, Université de Nice

Swanie Potot, sociologue, CNRS

Juan David Sempere, Université d’Alicante

Mahamet Timéra, sociologue, Université Paris Diderot

 

 

Blogs MEDIAPART, le 27Juin 2014