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L’opération « Mare Nostrum » menée en Méditerranée a été officiellement arrêtée par l’Italie, samedi 1er novembre, mais les autorités assurent que les sauvetages de migrants ne s’arrêteront pas. Lancé en octobre 2013, après les catastrophes de Lampedusa et de Malte, au cours desquelles ont péri près de quatre cents personnes, le dispositif a été remplacé par l’opération « Triton », coordonnée par Frontex, l’organisme de surveillance des frontières extérieures de l’Union européenne. « Triton » sera centrée sur les routes migratoires partant de Libye et d’Egypte.


L’Italie, qui affirme avoir sauvé quelque 150 000 personnes en Méditerranée grâce aux patrouilles de ses navires dans les eaux internationales, à la frontière de la Libye, dit avoir dépensé 114 millions d’euros et déplore le peu d’aide reçue des autres Etats de l’UE. En retour, ceux-ci lui reprochent d’avoir créé un « effet d’aspiration » : quasi certains que les passagers de leurs embarcations seraient récupérés, les passeurs ont multiplié les voyages dans les conditions les plus risquées. Selon des estimations du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, le risque de mourir dans l’une de ces traversées a doublé en l’espace de deux ans. Rome a donc choisi, en forçant la main aux autres pays, d’en appeler à une mission de Frontex.

 

« Nouvelle politique migratoire »


Dotée d’un budget limité (90 millions d’euros), l’agence des frontières comptera sur les moyens humains et les ressources des Etats membres. A ce stade, vingt et un d’entre eux ont proposé leur coopération, d’une ampleur variable. « Triton » sera lancée avec quatre avions, un hélicoptère, sept navires et 65 officiers chargés d’apporter leur aide à l’Italie. Celle-ci reste, en effet, le « pays hôte » de l’opération, dotée d’un budget initial de 2,9 millions d’euros par mois. L’Italie, qui dépensait jusqu’à 9 millions mensuellement, engageait 900 soldats chaque jour.

 

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Rome ne mentionnait que rarement l’aide de 1,8 milliard reçue de Bruxelles par le biais de mesures d’urgence prises dans le cadre du Fonds pour les frontières extérieures. Frontex a, par ailleurs, déjà apporté son concours à deux autres missions, « Hermes » et « Aeneas », destinées à contrôler d’autres flux migratoires en Méditerranée, au large de l’Italie notamment.

Avec la fin de « Mare Nostrum », une série d’organisations, dont Amnesty International, redoutent de nouvelles pertes humaines. « Quel que soit son habillage, “Triton” n’est pas une opération de recherche et de sauvetage, mais de surveillance », estime Nicolas Beger, directeur du bureau européen d’Amnesty, à Bruxelles. Or, souligne-t-il, « la situation dans une série de pays du pourtour méditerranéen va faire en sorte que le flot de migrants ne fera qu’enfler ».

 

« Principe du non-refoulement »


La Commission européenne ne nie pas les différences entre « Mare Nostrum » et « Triton », mais assure que les missions d’assistance resteront bien assurées. « Frontex aidera l’Italie à remplir ses obligations au regard du droit maritime et de l’aide aux personnes en détresse », assure une source bruxelloise. « Les opérations de sauvetage continueront conformément aux lois de la mer », a promis de son côté Angelino Alfano, le ministre de l’intérieur italien. L’Italie sera chargée de la gestion de l’équipement et des ressources mises à la disposition de «Triton » et assurera toujours l’accueil des demandeurs d’asile : « On ne peut bloquer des personnes à l’entrée sans enfreindre le principe du non-refoulement, inclus dans les conventions internationales », insiste la Commission de Bruxelles.

 

Certaines ONG craignent cependant que Rome réduise fortement son engagement, ce qui aboutirait à ce que certaines zones ne soient plus aussi étroitement surveillées. En réponse, la Commission promet une évaluation précise de « Triton » dès 2015 et dit ne pas exclure que les moyens mis à la disposition de Frontex soient augmentés. Jean-Claude Juncker, son nouveau président, en appelle à davantage de solidarité des pays membres pour bâtir une « nouvelle politique migratoire » et faciliter l’ouverture de voies d’accès légales au territoire européen.

 

Jean-Pierre Stroobants

 LE MONDE, le 03.11.2014