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La jeune femme, dont le numéro s’est répandu parmi les candidats à la traversée de la Méditerranée, ne compte plus les appels de détresse reçus sur ton téléphone portable. (Illustration)

 

Nawal Soufi ne lâche jamais son téléphone portable. Le destin a voulu que ce soit le numéro de cette frêle Italo-Marocaine de 27 ans que tant de réfugiés syriens perdus en mer composent pour appeler au secours. La mission que la providence a confiée à la jeune femme a même inspiré un livre paru il y a quelques jours.

« L’ange des réfugiés »

Le premier appel paniqué est arrivé un matin de l'été 2013 : des centaines de Syriens étaient perdus en Méditerranée sur un bateau qui prenait l'eau. Prise au dépourvu, l’étudiante en sciences politiques qui habite depuis son enfance en Sicile a appelé les garde-côtes italiens, qui lui ont aussitôt expliqué comment aider les migrants à trouver leurs coordonnées GPS sur leur téléphone satellitaire afin d'orienter les secours.

De longues heures de silence plus tard, elle a enfin pu respirer : ils étaient tous sains et saufs. Depuis, ce scénario s'est répété des centaines de fois. « Un appel peut arriver à n'importe quelle heure. Des migrants en mer, qui hurlent “nous sommes 500 personnes à bord, il n'y a plus d'eau, nous sommes en mer depuis 10 jours...” », raconte à l’AFP la Sicilienne dont le singulier destin fait l'objet d'un livre « Nawal, l'ange des réfugiés », sorti la semaine dernière en Italie.

 

Un téléphone pour sauver des vies

C’est depuis que Nawal, passionnée par la révolution syrienne, a accompagné une ambulance chargée de médicaments jusqu'à Alep qu’elle est régulièrement contactée par les migrants en détresse. En laissant son numéro au gré de ses rencontres sur la route de la Syrie, elle ne se doutait pas de l’usage qui en serait fait. Aujourd’hui, ce numéro circule encore parmi les candidats au départ, même si Nawal a mis celui des garde-côtes en évidence sur sa page Facebook. Elle y publie également les enregistrements audio de ses conversations, ainsi que des commentaires souvent las. Parce que ceux qui l'appellent n'arrivent pas toujours jusqu'en Italie.

« L'Italie a un système d'accueil qui prend l'eau de toutes parts, mais l'un des meilleurs systèmes de secours en Europe » s'explique-t-elle. Mais, tous les migrants ne sont pas sauvés. À chaque drame, « je ressens un vide, un vide qui n'a pas de sens. Comment peut-on encore en 2015 penser que la solution est de faire voyager les gens dans de telles embarcations ? », s'insurge-t-elle. À cette litanie s'ajoutent aussi les coups de fil anxieux de proches cherchant à savoir si leur fils, leur mère ou leur mari a survécu.

 

Le courage de porter une responsabilité


eux à qui elle a parfois essayé de confier son téléphone pour se reposer un peu le lui ont toujours rendu au bout de 24 heures, dépassés par ce déferlement d'angoisses. « On ne le supporte qu'à partir du moment où on l'accepte comme une mission. C'est lourd, mais telle est la cruauté du monde », explique Mussie Zerai, un prêtre qui reçoit depuis 2003 les appels à l'aide d’Érythréens perdus en mer ou encore séquestrés en Libye ou dans le Sinaï. « J'admire son courage, ce n'est pas facile, surtout pour une jeune femme dans le sud de l'Italie », ajoute-t-il.

C’est pour pallier les limites évidentes d’un système d’alerte basé sur si peu de personnes que le collectif Watch the Med a lancé ces derniers mois l’Alarm Phone : un numéro de téléphone unique auquel répondent des bénévoles selon un tour de garde qui permet de mieux répartir une charge parfois difficile à assumer.

Mais, la jeune femme, qui est soutenue par sa famille, ne se contente pas d’alerter les secours. Elle est aussi une mine d’information pour les migrants arrivés sur la terre ferme. À la gare de Catane, elle distille ses conseils sous le regard bienveillant des policiers, ravis de la voir éloigner « les vautours », ces intermédiaires véreux qui tournent autour des migrants pour profiter de leur détresse et leur proposer leurs services à prix d’or.