Par Léonard Vincent

C'est un rapport glaçant qui a été publié mardi par l'Autorité intergouvernementale pour le développement (Igad), une organisation régionale regroupant huit pays d'Afrique de l'Est. Une enquête sur les filières de trafic d'êtres humains entre l'Afrique subsaharienne et la Méditerranée. Les victimes de ce trafic sont Somaliens, Ethiopiens, plus rarement Ouest-Africains, mais surtout Erythréens, tous candidats au passage vers l'Europe. Ce sont eux qu'on retrouve à la dérive au large de l'île italienne de Lampedusa. Le rapport raconte les épreuves qu'ils doivent traverser avant d'embarquer, pour le plus grand bénéfice de certains trafiquants.

De la Corne de l'Afrique à la Méditerranée, la route des migrants est un enfer. Au Soudan, le risque est d'être vendu à des bandes criminelles ou abandonné en plein désert, raconte le rapport. Les survivants qui parviennent jusqu'en Libye sont pris dans la guerre des factions, ou depuis l'année dernière capturés par l'Etat islamique, parfois décapités pour la propagande. Pour les femmes, le viol est fréquent, au point que nombre d'entre elles se font inoculer un contraceptif avant de fuir.

Sur la côte, à Ajdabiya, le port de départ le plus fréquent vers l'Europe, ils sont entassés dans des centres de détention bien connus, rackettés et brutalisés. Et ceux qui en réchappent embarquent alors sur des bateaux en mauvais état, parfois seulement pour se noyer au large de l'Europe.

Tout le long de ce calvaire, il y a l'argent. Entre trois et six milliards de dollars de bénéfice pour la seule année 2015, selon Europol. Des milliers de dollars par migrant, à chaque étape, en Ethiopie, au Soudan, en Libye, que ceux-ci ou leur famille payent via de discrets systèmes traditionnels de transfert d'argent, vers l'Europe, Israël ou Dubaï.

Le rapport trace aussi le portrait de quelques trafiquants. Ce sont des Erythréens, également, pour la plupart. Parfois, comme Efrem Misgna, résident en Suède, ce sont des proches du régime érythréen, qui organisent également de très lucratives filières « quatre étoiles », avec vrais-faux papiers et billets d'avion. Certains autres ouvrent même des routes faisant passer les migrants par Singapour ou les Philippines, voire même l'Amérique latine.

Malgré les enquêtes ouvertes en Italie ou en Ethiopie, à ce jour, peu d'entre eux ont été arrêtés, dit l'enquête. Ils bénéficient de l'absence d'Etat de droit sur la route des migrants, mais aussi de l'extrême difficulté de s'attaquer à ces mafias transnationales, brassant des fortunes et enrichissant les miliciens tout le long de la route.

 

rfi.fr 25/02/2016