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Jeudi 6 février 2014, au large de l’enclave espagnole de Ceuta, au moins neuf migrants sont morts en mer, cinq autres sont toujours portés disparus. Ils n’étaient pas embarqués sur des bateaux de fortune, mais ont été pris de panique face à la violence des autorités espagnoles. Cette nouvelle tragédie  survient cinq mois après le drame de Lampedusa qui avait causé la mort de 366 migrants. Les conflits qui sévissent dans la corne d’Afrique participent certainement à l’afflux important vers La Tunisie, Ceuta et Melilla, les premières portes de l’Europe. Mais le vieux continent y voit une menace et durcit ses mesures sécuritaires au risque de tomber dans l’illégalité.

Illustration Réalités 20022014

« Ils ont tiré »

Ce jour-là, ils sont environ 200 hommes et femmes à tenter le passage de la frontière par le poste de Tarajal au sud de Ceuta. La tension monte lorsque la police réplique avec du matériel anti-émeute et se justifie. «  Les immigrés ont montré une attitude très violente, ont lancé des pierres et d’autres objets contre les forces de sécurité espagnoles et marocaines » explique Francisco Antonio Gonzales, préfet de Ceuta. Rapidement, de nombreux migrants fuient par la mer espérant gagner la côte espagnole située à quelques centaines de mètres de là. Et le préfet assure qu’à ce moment « les forces de l’ordre n’ont pas utilisé de moyens anti-émeutes quand les immigrés étaient dans l’eau ». Une militante de l’ONG Caminando Fronteras a récolté les témoignages de survivants et rapporte « Nous avons vu un autre groupe de sept immigrants blessés qui nous ont expliqué la même histoire. Ils nous ont dit que la Garde civile avait tiré des balles en plastique pour crever les bouées utilisées par les immigrants dont beaucoup ne savaient pas nager ».

Un collectif d’ONG a décidé de porter plainte au bureau du procureur afin de faire ouvrir une enquête sur l’utilisation de matériel anti-émeute et permettre l’accès à tous les enregistrements vidéos existants.

« Ce qu’ils font est clairement illégal » tranche Nicanor Haon, responsable de la migration du Forum tunisien pour les Droits économiques et sociaux. Et ajoute, «  ils sont en train de juger par la peine de mort, un problème administratif ». En effet, cette affaire met mal à l’aise la garde civile qui renvoie la responsabilité de Rabat.

Opération refoulement

Les associations de défense des droits des migrants ne pouvaient le prouver jusque-là, mais une vidéo tournée le 15 janvier dernier par l’ONG Prodein montre l’opération. Ce jour-là, une soixante de réfugiés réussit à passer la frontière espagnole et son triple grillage surmonté de fil à rasoirs puis à rentrer dans la ville. Récupérés par la Guardia Civil, ils seront ramenés directement à un poste frontière marocain et réfoulés.

« La CEDH interdit aussi les refoulements collectifs, les expulsions collectives, même depuis ton territoire, il faut avoir un traitement individualisé » commente Nicanor Haon. Ainsi, contrairement à ce que le droit international dit, l’Espagne expulse de façon irrégulière les migrants vers le Maroc. On appelle ça le système pushback,  ou encore refoulements. Or, le principe de non refoulement est la pierre angulaire de la protection internationale des réfugiés. Il est inscrit dans l’article 33 de la Convention de Genève. Sur ces faits, Rabat, comme les autorités espagnoles, ne dit pas un mot. Pourtant, la loi sur l’immigration est claire. En Espagne, les étrangers entrés irrégulièrement sur le territoire  doivent être conduits en priorité au Commissariat afin de « procéder à leur identification et le cas échéant, à leur refoulement ».

Cela pose aussi la question de la législation sur la migration, l’accueil des étrangers et l’asile dans les pays du Maghreb. Par exemple, « Aujourd’hui aucun des pays, Maroc, Algérie, Tunisie, Libye, n’a un système de demande d’asile qui fonctionne. Ce qui signifie que lorsque qu’on peut demander l’asile, il n’y a pas de réel traitement des demandes. On peut vraiment demander l’asile nulle part ». Il n’y a aucune règle sur les conditions d’accueil et de prise en charge des réfugiés. Nicanor Haon, précise toutefois, qu’en « En Tunisie, il y a un nouvel article de la Constitution qui garantit ça mais concrètement il n’y a rien. ». Dernier événement en date, les réfugiés du camp de Choucha ont mené une semaine de mobilisation pour trouver une issue à leur situation. Cette vingtaine de réfugiés ont été arrêtés par la police et maintenus en rétention administrative depuis le 8 février. Effet d’annonce ou pas, le ministère de l’Intérieur avait pourtant annoncé dans un communiqué de presse, au lendemain de la fermeture du camp en Juillet 2013, que tous les réfugiés du camp de Choucha reconnus ou non par le UHCR auront droit à une carte de séjour temporaire en Tunisie. Aujourd’hui, ceux là attendent toujours.

Marieau Palacio

 

Réalités, le 17 février 2014