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Critiqués, insultés, dénigrés, les migrants subsahariens font ressurgir de nombreux fantasmes. El Watan Week-end fait le point sur les réalités de la migration dans le pays.

Illustration El watan 30052014Dans un contexte géopolitique compliqué, l’Algérie est le pays qui offre le plus de stabilité et
d’opportunités de travail informel aux migrants en route vers l’Europe.

 

 

D’où viennent les migrants ?

Historiquement, les migrants maliens et les Nigériens sont présents en Algérie, principalement dans les villes du sud du pays. Selon les sociologues, il s’agit d’une immigration de travail qui répondait aux besoins économiques de l’Algérie. Au milieu des années 2000, le consulat du Niger estimait que 20 000 ressortissants étaient installés à Tamanrasset. Malgré l’absence de statistiques publiques, dans le nord du pays, les associations recensent principalement des migrants venus du Cameroun, du Nigeria, du Libéria, de la République démocratique du Congo et de la Côte d’Ivoire.

Le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (HCR) estime qu’environ 2000 Syriens ont été enregistrés dans le pays. Ces derniers jours, la présence de Nigériens dans de grandes villes a relancé le débat, mais aucune association ne peut affirmer que le nombre de migrants a augmenté. «Le fait que les migrants du Niger se déplacent dans le nord du pays est assez nouveau», commente Charlotte De Bussy, coordinatrice générale en Algérie pour Médecins du Monde France.

Pourquoi quittent-ils leur pays ?

Les raisons du départ sont multiples et aujourd’hui les flux migratoires sont mixtes. «Certains quittent leur pays parce qu’ils craignent pour leur sécurité. D’autres veulent améliorer leurs conditions de vie et certains «tentent l’aventure», car être migrant est devenu un statut à part entière», explique Giulia Fabbiano, anthropologue et chercheur à l’EHESS à Paris.

Pourquoi viennent-ils en Algérie ?

Pour de nombreuses personnes, l’objectif de départ, qui est principalement d’arriver en Europe, se modifie au fur et à mesure du parcours face aux réalités géopolitiques et économiques. «Aujourd’hui, si vous fuyez la République démocratique du Congo à cause des violences, vous ne pouvez pas aller vous réfugier en Centrafrique, ni au Soudan. La Libye et le Nigeria sont bouleversés par des conflits armés tout comme le nord du Mali et le Niger sont encore secoués par des crises alimentaires», résume Sabrina Amirat, administratrice assistante de protection au HCR. «Depuis la chute de Ben Ali et de El Gueddafi, l’Algérie est le seul couloir du Sahel vers l’Europe.

Le nombre de migrants a encore augmenté après la guerre au Mali. Mais parallèlement, les possibilités d’entrer en Europe se sont réduites. L’Algérie est un couloir qui devient une maison», explique Giulia Fabbiano. Selon une enquête réalisée dans le nord du pays par Médecins du Monde, les migrants restent en moyenne trois ans en Algérie, car le pays est également un grand marché de travail informel. C’est ce que poussent de nombreux migrants à s’installer dans les villes où les opportunités de travail sont importantes. Mais il existe également dans les villes des possibilités de logement pour ceux qui viennent d’arriver.

Les migrants se retrouvent dans les mêmes quartiers. Ils n’y créent pas d’organisation sociale particulière, mais une forme de vie en communauté qui permet de se sentir un peu plus sécurisé. «La solidarité se met en place surtout pour trouver un logement, pour échanger des informations sur les possibilités de travail ou les lieux où se soigner. Pour le reste, chacun se débrouille», explique Giulia Fabbiano.

Ont-ils le droit d’être là ?

L’Algérie a ratifié la Convention de Genève qui stipule que «toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays» ainsi que «devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l’asile en d’autres pays». «Pourtant, il n’existe pas en Algérie de loi d’asile», rappelle Sabrina Amirat du HCR, ce qui complique l’attribution du statut de réfugié, statut qui donne droit à des papiers d’identité. Il n’y a en Algérie que 135 personnes avec le statut de réfugié. Les 2000 Syriens présents bénéficient d’un statut particulier et sont autorisés à rester sur le territoire. Les ressortissants maliens, quels que soient les motifs de leur entrée ont le droit de rester sur le territoire pendant trois mois sur simple présentation de leur passeport et doivent ressortir du pays ensuite. Mais ils sont autorisés à revenir autant qu’ils le souhaitent.

Peut-on bloquer les flux migratoires ?

Farouk Ksentini, responsable de la commission de protection des droits de l’homme (officielle), a déclaré la semaine dernière à nos confrères du Quotidien d’Oran : «L’émigration, soit on l’arrête, soit on l’assume et on l’organise» en évoquant le camp de migrants installés à Boufarik, près de Blida. Est-il possible de fermer la route ? Ces affirmations ont avant tout pour but de coller à une opinion publique méfiante face aux migrants. «Aucun Etat ne peut bloquer les migrations, l’Algérie ne fait pas exception, explique Giulia Fabbiano. En mer Méditerranée, malgré Frontex, il y a des gens qui passent, alors imaginez la difficulté de contrôler le désert algérien !» «Les flux migratoires en provenance d’Afrique ne se calquent pas sur les politiques des pays de transit», ajoute un journaliste installé à Rabat.

Inutile donc de chercher à empêcher les migrants d’entrer en Algérie. «En revanche, mettre en place des accords de circulation bilatéraux permettrait de réduire la précarité, estime Giulia Fabbiano. L’Algérie peut jouer un rôle pionnier entre le nord et le sud et créer sa propre politique migratoire sans être le gendarme de Frontex.»

Doit-on craindre des épidémies ?

Dans une déclaration à l’APS, le vice-président du Croissant-Rouge algérien annonçait le déploiement de trois cliniques mobiles dans le sud du pays «par où transitent des flux considérables de migrants» pour «prémunir le pays de toute maladie provenant de l’autre côté des frontières». «Les migrants installés en Algérie peuvent souffrir de pathologies dues à la précarité de leurs conditions de vie, mais il est rare que ces personnes arrivent déjà malades, car le fait de quitter son pays nécessite d’être en bonne santé, explique Charlotte De Bussy. Généralement, les médecins qui prennent en charge les migrants s’occupent de maux de dos, de maladies hivernales ou de suivis de grossesses».

Quant au sida, la peur de la contamination épidémique relève du fantasme. «Le sida se transmet uniquement par voie sexuelle ou sanguine», rappelle Charlotte De Bussy. En clair, à moins d’avoir des relations sexuelles non protégées avec une personne contaminée, d’échanger une seringue avec cette personne ou de mettre en contact une blessure qui saigne avec le sang de cette personne, vous n’avez aucune chance de contracter le sida. Et même si le taux de prévalence officiel de pays d’Afrique de l’Ouest ou d’Afrique centrale est plus élevé que le taux de prévalence officiel algérien, cela ne signifie pas que tous les ressortissants de ces pays sont malades.

La migration, à la une dans toute l’Europe

Le 28 mai, la préfecture de Calais en France fait évacuer un camp de 600 migrants évoquant des raisons sanitaires après une épidémie de gale. Le même jour à 6h, plus de 1000 migrants tentent de franchir la triple frontière de grillages de 7 m de haut qui sépare le Maroc de l’enclave espagnole de Melilla. Le 24 mai, 52 migrants étaient secourus au large des côtes de Ceuta, enclave appartenant à l’Espagne, au Maroc. Le 20 mai, 500 personnes à bord de deux barques ont été secourues par la marine italienne près des côtes de la Sicile en Italie. Le 14 ami, 8 migrants nigériens sont tués par une milice en Libye.

Leila Beratto

 

El Watan, le 30 Mai 2014