Mohamet est un jeune homme qui se cherche une place dans le monde, un petit coin de sécurité où grandir à l’abri du claquement des balles et de la misère. Né en République centrafricaine, il avait 11 ans quand la guerre civile a éclaté dans son pays. Pendant deux ans, il a parcouru l’Afrique à la recherche de son rêve. Il a raconté son histoire à InfoMigrants.

 

"Je suis de Nola, un village au sud-ouest de la RCA. Je vivais là-bas avec ma famille avant la guerre. En 2014, un professeur de l’école coranique du village et son fils se sont fait tuer par des anti-balaka [milices d'auto-défense à majorité chrétienne et animiste, NDLR]. À ce moment-là, tout le village a fui. Moi, je suis parti avec mes parents et mes frères et sœurs vers le Cameroun.

Là-bas, mon père est décédé d’une longue maladie. Je suis parti pour Douala parce que là où nous vivions, à Libongo, le directeur de l’école ne voulait pas scolariser des réfugiés centrafricains.

"On se disait qu’on partirait quand on aurait 50 000 francs CFA"

De 2016 à 2018, j’ai vécu seul à Douala. C’était très difficile parce que je ne connaissais personne, aucun proche pour me loger et me nourrir. C’est là que j’ai commencé à penser à aller en Europe.

Je me suis fait un ami là-bas, un Camerounais. Une dame pour qui on travaillait un peu nous donnait 500 francs CFA (environ 0,75 euros) par jour pour manger et on dormait dans la rue, dans une vieille voiture. On mettait de l’argent de côté. On se disait qu’on partirait quand on aurait 50 000 CFA (environ 76 euros).

Quand on a atteint cette somme, on est partis pour Kano, au Nigeria. On est resté là pendant presque trois mois. On vendait des sachets d’eau.

Ensuite, on a eu l’argent pour aller au Niger puis jusqu’à Tamanrasset, en Algérie. Je travaillais dans un cyber café et mon ami faisait le ménage chez des Algériens. On est resté six mois mais la vie était compliquée. On dormait dans un chantier de construction. On s’est fait agresser et voler notre salaire plusieurs fois.

"Ils nous appelaient ‘esclaves’"

On a décidé de partir pour la Libye. Les gens nous disaient que si on allait en Libye, on aurait une chance d’aller en Italie. On nous disait que si on nous arrêtait, on allait souffrir mais que, si on ne nous arrêtait pas, on allait passer. On est allés jusqu’à Tripoli avec un passeur de Tamanrasset. On l’a payé 90 000 dinars algériens (environ 593 euros).

Après presque un mois enfermés dans une maison à Tripoli, les passeurs nous ont envoyés dans la maison d’un homme arabe. On faisait le ménage et on s’occupait des enfants. C’était obligatoire parce qu’on n'avait plus d'argent pour vivre.

Les parents nous frappaient si on ne jouait pas bien avec les enfants ou si on faisait une petite erreur dans la maison. C’était les parents qui nous donnaient de l’argent et ils ne nous payaient que quand ils voulaient. En six mois, ils ne m’ont payé que trois fois. Mon ami était dans la même famille. Lui, il était plus noir de peau que moi donc il se faisait encore plus frapper que moi. Ils nous appelaient 'esclaves'.

On voulait rentrer en Algérie. Alors, un vendredi, après être allés à la mosquée, on est partis avec de l’argent que nous avaient donné des Camerounais.

"Je lui ai dit que je voulais rentrer chez moi"

On prévoyait d’aller au Maroc mais on nous a dit que ce serait très difficile d’aller dans ce pays et en Europe. Donc on a changé notre destination pour Oran. 

Je suis allé voir un policier dans le centre-ville. Je lui ai dit que je voulais rentrer chez moi et tout le commissariat a rigolé. J’ai laissé mon ami à Oran et moi j’ai été placé dans une salle dédiée aux refoulements en attendant le bus pour le sud du pays.

J’étais au bout de mes rêves, je voulais rentrer. Je voulais aller en Europe mais j’étais trop fatigué. Et, ce que j’ai vu, la souffrance, la façon dont les arabes traitent les noirs… Je n’avais jamais vu ça.

À ce moment-là, on était en 2019. Les Algériens nous ont emmenés en bus à 15 kilomètres d’Assamaka, au Niger. On a marché toute la nuit dans le désert et là, on a trouvé l’OIM [Organisation internationale pour les migrations]. On nous a emmenés à Agadez et je suis resté trois semaines là-bas parce qu’aucun membre de ma famille en RCA ne pouvait signer pour dire qu’ils pouvaient me récupérer. C’est finalement un membre de la famille d’un ami centrafricain qui a signé pour que je puisse rentrer.

"J’avais l’impression de ne plus avoir de pays du tout"

Ça m’inquiétait plus que tout de rentrer en RCA mais j’en avais marre des pays arabes. Quand je suis rentré, en 2020, le gouvernement m’a dit que j’étais un étranger parce que ma famille n’était pas là. Ça m’a rendu vraiment triste, j’avais l’impression de ne plus avoir de pays du tout. Je voulais rentrer chez moi et on me refusait.

À Bangui, l’OIM devait nous donner un peu d'argent pour la réintégration. La personne qui avait signé pour mon retour voulait me prendre cet argent mais, quand il a compris que l’OIM n’allait pas me verser cette somme tout de suite, il m’a chassé de chez lui.

Je suis resté deux mois à Bangui. Il n’y avait pas de travail et je ne me sentais pas en sécurité. Le pays avait vraiment changé depuis mon départ.

Là, comme ça ne marchait pas à Bangui, je suis parti rejoindre un village où je savais que des peuls avaient des vaches. Je me disais que comme je suis peul, ils allaient m’accueillir. Mais ça ne s’est pas bien passé, il y avait beaucoup de bagarres.

Quand je suis arrivé, les gens m’ont demandé comment j’avais fait pour venir jusque-là à pied sans me faire tuer.

Je suis resté un peu. Il y avait des anciens rebelles de la Séléka [mouvement de rébellion lancé en 2013 par l'alliance de plusieurs groupes armées qui a conduit à la chute du président François Bozizé, NDLR]. Ils m’ont proposé de rejoindre la rébellion à De Gaulle, un village vers la commune de Bouar.

Finalement, je suis retourné à Bangui. Je n’ai plus bougé jusqu'à ce qu'un chauffeur de camion accepte de m’emmener gratuitement à Yaoundé, la capitale camerounaise. Ici, je n’ai pas d’endroit pour dormir, ni même de téléphone. On m’en prête un quand je dois passer un appel. Ma mère, elle, est toujours à Libongo. Elle veut me voir. Moi aussi je voudrais la rejoindre mais je ne peux pas parce que je n’ai pas d’argent.

 

Par Julia Dumont, publié sur Info Migrants le 24 août 2020.

Photo : Mohamet, 17 ans, est allé au Cameroun, au Niger, en Algérie et en Libye pour tenter de se construire un avenir. Crédit : DR